Sortir le climat des contraintes de Maastricht: un enjeu national

Suggestion au MR, dans son programme électoral fédéral : De : André Dumont, ingénieur AIrBr ULB 1956, chargé de cours émérite à l’ULB. Le 12 janvier 2024. Transition énergétique et croissance, ensemble : il faut leur donner un nouveau cadre européen, hors des contraintes du Traité de Maastricht. Contexte de cette note. Je souscris sans réserve à la stratégie « nucléaire + renouvelable » et à l'acte de foi que cette stratégie peut être menée dans une atmosphère de croissance économique, loin de toute idée de frugalité et de privation. Dans les lignes qui suivent, je voudrais y apporter deux réflexions complémentaires qui, à mon humble avis, devraient trouver bonne place dans le discours électoral du MR. Je les ai souvent développées dans mes conférences au Collège Belgique de l'Académie, et dans mon livre « A la recherche du chaînon manquant ». Sur la nécessité de la croissance. Je pense que la démocratie ne survivra pas dans une ambiance de rationnement, même simplement de frugalité obligatoire. Jamais et nulle part la démocratie n'a résisté lorsque les citoyens ont dû accepter des frustrations, dans leurs désirs et plus encore dans leurs besoins de base : pensons à l'Allemagne de l'entre deux guerres, ou aux « printemps arabes » déçus. L'homme est ainsi fait qu'il n'est vertueux et altruiste que quand il a reçu sa part d'un gâteau qui grandit. Il n'est que de voir l'érosion actuelle des revenus du travail faire le lit des partis populistes. L'Occident doit liberté et bien-être à deux siècles de croissance. Si le MR partage mon analyse, il doit le marteler tout au long de sa campagne. Sur les conditions d'une croissance « vertueuse » Le discours précédent à peine diffusé, le MR encaissera le contre-feu des autres partis : il n'y a de croissance que sale – consumériste, aliénante – et en fidèle supporter de la rigueur Maastrichtienne, le MR a été le fossoyeur de la croissance. Ces deux arguments sont partiellement fondés et doivent être démontés. Il ne s'agit évidemment pas de recourir aux stimulants classiques d'encouragement à la consommation, d'autant plus que celle-ci s'alimente massivement de produits manufacturés non européens, donc participe peu à la croissance (au maintien) des revenus des Belges moyens. La nouvelle croissance se définira en se demandant pourquoi, de COP(n) en COP (n+x) les objectifs restent inaccessibles. Les manifestants climatophiles ont tort de réclamer inlassablement que les gouvernants se conscientisent : cette étape est franchie depuis longtemps. L'inaction vient du fait qu'il n'existe aucun outil institutionnel qui leur permette d'aller plus loin. C'est cette lacune qu'il importe de combler de toute urgence. Il est manifeste que si chacun – entreprise ou citoyen – reste dans son rôle actuel, tout en y appliquant au maximum les technologies les plus innovantes et une frugalité acceptable, les objectifs fixés par les climatologues et endossés par les gouvernants resteront inaccessibles. Pour les atteindre, il est nécessaire de réaliser des basculements impliquant plusieurs secteurs d'activité, par exemple : de la route vers le rail, de la production centralisée d'électricité vers une production diffuse, localement fluctuante. Les libéraux doivent se résigner à admettre que de telles mutations ne seront pas entreprises du seul fait de l'initiative privée : les systèmes nouveaux sont à concevoir à partir des objectifs climatiques, puis décomposés en sous-systèmes spécialisés pour s'intégrer dans le schéma industriel existant. Il y aura des mutations sociales à gérer. Et cela coûtera beaucoup d'argent, longtemps, avant que les innovations propres deviennent plus économiques que leurs concurrentes sales, amorties depuis longtemps et bien rodées. Les libéraux se rassureront en relisant leur maître Adam Smith : le père du libéralisme écrivait en son temps que la construction d'infrastructures – alors, routes et canaux – devait rester de la compétence des Etats. Ce que doit (au moins) réaliser le Green Deal. Je vais citer trois actions nécessaires si l'on veut atteindre les objectifs fixés tout en recréant une croissance économique – en limitant et en inversant si possible le déficit commercial avec la Chine : 1. la construction, au niveau continental, d'un réseau de transport d'électricité à mailles fines ; bidirectionnel de partout à partout, reconfigurable dans des délais extrêmement courts. Un tel réseau gommera les fluctuations des sources renouvelables : il y a du vent là où le soleil s'est caché. 2. le développement et la mise en service rapide des réacteurs nucléaires modulaires.Le remplacement d'énergies fossiles est conditionné à l'abondance d'électricité, dont la génération ne peut évidemment pas dépendre des mêmes sources fossiles. 3. le retour du fret et des voyageurs vers le rail. Quel que soit le carburant utilisé, une roue en acier roulant sur un rail lisse lui aussi en acier est beaucoup moins énergivore qu'un pneu souple sur une route rugueuse. Mais il faut compenser l'avantage de la route qui est la solution directe de porte à porte. Il faut recréer dans les petites et grandes villes des gares à marchandises qui seront les centres de distribution locale par petits véhicules électriques ; le maillage sera assuré par containerisation du transport et gares de triage robotisées. Même philosophie pour le transport des voyageurs, de leurs bagages et de leur voiture : la grande autonomie électrique coûte très cher. Ce que nous devons donner à l'Europe – ce qu'avaient Roosevelt et JFK. Nos concurrents, au contraire de l'Union Européenne, sont des Etats disposant de tous les outils adéquats pour élaborer un projet multidisciplinaire et gérer sa réalisation par l'industrie nationale. Quand JFK a décider le voyage vers la lune, la NASA était là et elle avait l'habitude de gérer l'industrie aérospatiale américaine. Ajoutons que la FED a docilement imprimé tous les $ nécessaires. En 1930 le scénario était identique pour F.D.Roosevelt. Et dans les deux cas aucune entreprise étrangère n'avait droit à une part. Dans les deux cas cités le succès a été double : l'objectif fonctionnel a été atteint, et la croissance a été relancée. Voilà donc le modèle que l'Europe doit suivre aujourd'hui – dans toutes ses composantes : la solution doit être européenne ; un organisme communautaire doit être créé ou développé, pour traduire les objectifs climatiques en cahiers de charges spécialisés, lisibles par les entreprises de chaque domaine ; il sera alimenté par des mécanismes extérieurs aux budgets communautaire et nationaux, et sera le client des industriels européen, les paiera, pourra émettre des obligations de très longue durée, la BCE intervenant en prêteur en dernier recours - comme elle l'a fait pour les banquiers ; il installera les solutions développées ; ses contrats seront réservés aux entreprises européennes. Il saute aux yeux que les missions listées ci-dessus sont celles qu'assuraient jadis les opérateurs nationaux de services publics. Ecrivez SNCF et Alstom dans les lignes ci-dessus, vous écrirez l'histoire du TGV. Deux différences fondamentales existent entre cette histoire et la situation d'aujourd'hui : les opérateurs disposaient des revenus d'exploitation de leurs solutions classiques ; dans la vague Reagan /Thatcher des années1980, ces opérateurs nationaux ont été bridés car soi-disant inutiles et même nuisibles dans la marche vers le Marché unique européen. Cette dernière disposition était défendable si et seulement si tous les intervenants de la zone de commerce l'adoptaient et la respectaient, et si le montant des investissements futurs était compatible avec les exigences des investisseurs privés. Au même moment la zone de libre commerce s'est étendue à la planète entière - donc à des Etats qui interviennent vigoureusement dans leur économie, et dans celle du monde. Aujourd'hui le décalage en montant et en délai de rentabilité entre les exigences des investisseurs privés et les coûts des infrastructures nouvelles est tel que, comme on peut le constater , les initiatives réclamées pour des motifs « éthiques » ou « sociétaux » ne se dessinent pas : contrairement au discours climatophile, il ne s'agit pas d'un manque de sensibilisation ou de conscience : la raison est structurelle – relire A.Smith.. Une initiative nationale s'impose. A longueur de législature, les citoyens ont entendu leurs gouvernants répéter inlassablement le même alibi pour expliquer leur pingrerie en matière d'investissements publics : ils sont pieds et poings liés par le Pacte de stabilité conclu à Maastricht, contre lequel les gouvernements nationaux n'ont aucun pouvoir. Cet argument est fallacieux : le pouvoir dans l'Union Européenne appartient in fine au Conseil des chefs des gouvernements nationaux, lesquels sont élus dans leur pays respectif et ne sont pas responsables devant le Parlement Européen. C'est donc en fait via ses élections nationales que le citoyen exerce un pouvoir sur la marche de l'Union. C'est donc dans la campagne électorale nationale que le débat doit trouver sa place. Tel est mon message au MR, en ces prochains mois où en plus la Belgique assure la présidence tournante de l'Union : il est urgent que les modifications au Pacte de stabilité nécessitées par le sauvetage du climat, la réforme de la mobilité, la transition énergétique, soient lancées par la volonté des gouvernants nationaux. Les citoyens les moins au fait des mécanismes communautaires sont conscients que c'est la que se trouve la clé d'un futur sans privation. Je voudrais que le MR centre sa campagne nationale sur l'Europe, et se démarque ainsi du bourbier où se perdront les autres partis, entre recettes éculées et promesses illusoires. Si l'on suit ma recommandation, et si le futur Gouvernement fédéral en fait son affaire, il pourra prendre langue avec d'autres Gouvernements nationaux, et oeuvrer à la constitution d'une entente plurinationale. Nous sommes loin d'être le seul Etat qui se débat dans des impasses budgétaires, avant même d'avoir entamé les investissements climatiques réclamés. Sans plus attendre, notre ministre des affaires étrangères devrait au moins préparer le terrain avec ses collègues : elle enfoncera pas mal de portes ouvertes. Ce stade plurinational n'a rien d'anti-européen, au contraire. Dans les temps historiques, CECA et EURATOM ont été signés comme des traités spécialisés, avant le Traité de Rome. Ariane est née franco-germano-belge avant de devenir européenne. Je ne vois aucune autre piste pour la marche en avant . André Dumont

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